Éléments de réflexion sur la construction des prix


Les éléments de réflexion sur la construction des prix ont pour objectif de permettre à chaque acteur de pouvoir se positionner en connaissance de cause sur la pertinence économique pour lui de s’engager dans le projet de filière. Parmi l’ensemble des démarches possibles, la démarche proposée ici de construction des prix a pour objectif de tendre vers :

  • des prix de vente permettant une juste rémunération du travail des producteurs et de leurs salariés agricoles, ainsi que de l’ensemble des acteurs de la filière;
  • un juste prix au consommateur;
  • des relations durables et équitables entre producteurs, acteurs aval des filières et consommateurs.

Pour ce faire, au vu de premiers retours d’expériences, la première étape est la connaissance, par chaque intervenant économique dans la filière, de son prix de revient ; base pour entamer des discussions sur la répartition équitable de la valeur ajoutée entre les différents maillons.


Connaître son prix de revient



Le prix de revient d’un produit correspond au prix d’équilibre permettant de couvrir l’ensemble des charges nécessaires de la production à la commercialisation du produit. Il est calculé par produit par unité de masse ou volume. Le prix de revient est constitué des composantes suivantes :

  • La rémunération du travail (agriculteurs ; salariés agricoles ; ouvriers ; transformateurs ; etc.) ;
  • Les coûts induits par l’achat des intrants ou des matières premières nécessaires pour la culture, l’élevage ou la transformation du produit agricole ;
  • Les coûts induits par le renouvellement des équipements (ex : hangar ou tracteur pour les agriculteurs) (au prorata de leur utilisation pour ce produit) ;
  • Les amortissements ou loyers des bâtiments (au prorata) ;
  • Les loyers liés au foncier (au prorata) ;
  • Les consommations ;
  • Les services extérieurs et autres services (au prorata) ;
  • Les taxes et intérêts des emprunts (au prorata).


Conseil méthodologiques

Préalables à la discussion sur les prix



La notion de transparence

Afin de cadrer au mieux ces échanges, il peut être intéressant d’échanger collectivement dès le début du projet sur la notion de transparence, afin que chaque acteur puisse définir ce qu’il attend des autres en la matière. La phase d’interconnaissance doit permettre de traiter cet enjeu de manière indirecte (via des visites croisées sur des sites de production qui sont l’occasion pour chaque opérateur de partager ses contraintes) ou directe, via une animation dédiée sur l’enjeu de la transparence (les acteurs souhaitent-ils pousser la collaboration jusqu’à la transparence sur les marges ?). Les retours d’expériences nous apprennent que si cet enjeu n’est pas abordé initialement et régulièrement réinterrogé dans la vie de la filière, cela peut conduire à des tensions pour fixer et faire évoluer les prix. Par exemple, si l’un des maillons est poussé par les autres à faire un effort tarifaire, il pourra plus facilement l’accepter s’il sait que les autres “jouent le jeu” du collectif également. Cela passe par de la transparence dans la mesure où l’enjeu des “filières de proximité” est souvent de s’extraire du rapport de force qui prédomine dans les filières longues. On peut tout à fait imaginer que chaque partenaire de la filière partage aux autres les grands “postes” de dépenses qui constituent son prix de revient.

Exemple pour un transformateur : part du coût de main d'œuvre, part du coût d’entretien des équipements, part des consommables (emballages par exemple), part du coût de l’énergie.

Cette approche, généralisée à tous les maillons de la filière et combinée à un suivi régulier de l’évolution des coûts, via des indicateurs nationaux (tels que publiés par certaines interprofessions) ou via des suivis ad hoc, sont de nature à poser des bases saines à la discussion. En prévision de chaque campagne de production, il est ainsi souhaitable que chacun partage l’évolution de ses coûts. Des outils comme des chartes de filière sont utiles pour que les partenaires s’accordent sur une vision partagée autour de la construction du prix voire des procédures ou méthodologie de travail pour y arriver. Au-delà des principes écrits dans la charte, le processus même d’écriture et de réflexion collectif est utile pour consolider le collectif en création.

Dès ce stade, il est intéressant de réfléchir à un partage de certains coûts via la mutualisation (achat groupé d’intrants, mutualisation du transport des produits…).



La notion de qualité

Au vu de premiers retours d’expérience, la discussion sur les prix à l’échelle de la filière a intérêt à ce que chaque intervenant soit au clair avec son prix de revient. Pour travailler sur des bases crédibles, ce travail “individuel” doit s’appuyer sur des premiers échanges autour de la qualité attendue pour le produit fini et des contraintes de chaque maillon pour arriver à cette qualité. La discussion est d’autant plus centrale quand certains acteurs sont habitués à des filières davantage standardisées.


Accompagner un collectif d’agriculteurs dans la construction du prix de revient



La valorisation du travail agricole - un point essentiel

Un des enjeux majeurs, pour les filières de proximité, est de modifier l’approche de la rémunération de l’agriculteur. Les missions de celui-ci sont multiples, liées à la production, à la gestion, à la construction de sa commercialisation, mais aussi à la préservation de l’environnement. Le prix de vente des produits agricoles doit intégrer, dès son calcul, une juste rémunération qui doit permettre de couvrir les besoins de l'agriculteur tout en garantissant santé et qualité de vie (congés, charges de travail, …). Cette rémunération ne doit pas servir de variable d’ajustement aux autres charges, ou aux aléas du marché. En s’inscrivant dans cette démarche, elle aura aussi l’avantage de ne pas déstabiliser l’approche financière de l’exploitation, notamment en déstabilisant les capitaux propres. La question de la valorisation du travail ne se limite pas aux agriculteurs et associés, mais également aux salariés agricoles.

  • La rémunération du travail de l’agriculteur n’est pas calculée sur la base du revenu réel, mais doit être définie en fonction du nombre d’heures réellement travaillées par an et valorisées selon le taux de rémunération horaire recherché par le producteur.

  • La rémunération proposée aux salariés doit être valorisante et motivante. Afin de consolider les emplois, elle doit tenir compte des missions déléguées, de l'expérience et des compétences acquises.

  • L’entraide doit être prise en compte dans le calcul du prix de revient et rémunérée, car elle n’est pas toujours pérenne. Des parents qui deviennent trop âgés pour aider, des enfants qui partent loin de la ferme pour leurs études supérieures, … L’agriculteur doit être en capacité de remplacer cette entraide par de la main d'œuvre salariée. Si ces nouvelles charges ne peuvent être affectées directement au prix de vente, elles impacteront l’équilibre global de la ferme, sans doute en premier lieu le revenu de l’agriculteur.



La capacité d'auto-financement

Le prix de vente des produits agricoles doit couvrir les charges qui sont liées à la production et la commercialisation, mais aussi doit également inclure une marge de manoeuvre pour financer le développement de projets (création d’un nouvel atelier, d’emplois, …) sur la ferme (constitution de fonds propres facilitant le recours à l’emprunt). Cette marge de sécurité doit permettre :

  • De générer une capacité d’autofinancement. Le prix de vente des produits doit couvrir les charges qui sont liées à leur production et commercialisation, mais également doter l’agriculteur d’une marge de manoeuvre pour financer le développement de projets (création d’un nouvel atelier, d’emplois, …) sur la ferme (constitution de fonds propres facilitant le recours à l’emprunt) ;

  • De constituer la trésorerie pour couvrir le cycle d’exploitation et la développer en cas d’augmentation des volumes produits ou de changement de circuit de commercialisation.



Comment intégrer les risques climatiques ?

Les prix de revient ont aussi intérêt à être construits afin de permettre aux agriculteurs de faire face aux aléas et aux risques. Des pondérations pour risque peuvent donc être intégrées aux composantes de prix de revient. Parmi les risques liés à la production agricole, l’aléa climatique (diminution de production suite à la grêle, gel précoce, …) prend une part de plus en plus importante. Le risque peut être intégré via une pondération du poids total de la production.

Par exemple : un arboriculteur récolte 80 000 kg de pommes. Il va les stocker pendant 5 mois. Il évalue que la perte potentielle durant cette phase de stockage est environ de 4 000 kg. Il affectera donc un risque de stockage de 5 %. Le prix de revient ne sera alors plus calculé sur la base de 80 000 kg, mais de 76 000 kg.